mercredi, octobre 07, 2009

Kassav, les délices d'une nouvelle conquête

Jamais un sans deux. Vingt-quatre ans après, Kassav vient de reconquérir le coeur du public haïtien, qui, sur la terre du compas, de Nemours, a chanté en choeur, subjugué de plaisir, « Zouk la se sel medikaman nou ni ».Retour sur les temps forts du concert Zèklè /Kassav et sur les délices d'une nouvelle conquête de la bande à Jacob, Jocelyne, Jean-Philippe...
La brise du soir, fraîche et douce, souffle sur le Parc Historique de la Canne-à-Sucre, à Tabarre, le samedi 3 octobre 2009, une heure avant le concert Zèklè/Kassav dont les billets se sont vendus comme de petits pains। Quelques aficionados du Zouk, certains en quête de plaisir, de sensations fortes vécues il y a plus de vingt ans quand les hits de la bande à Jacob Desvarieux inondaient les ondes haïtiennes, sont à l'heure। Ils côtoient, dans un heureux mélange générationnel, des jeunes hommes fringants et des demoiselles de toutes les « griffes », marabout, mulâtresse...aux galbes suggestifs, lèvres pulpeuses..., déambulant difficilement sur le site qui se remplit à la vitesse grand V। Entre les embrassades, les guéguerres opposant « chipeurs » de chaises énervés à des tables « réservées », les tournées de whisky dont l'arôme envahit l'air..., des minutes filent tandis que les logos des sponsors de l'événement dont Ticket magazine, Sogebank...sont projetés sur le fond du podium et ses deux écrans attenants. La température monte d'un cran. 8heures 16. Premier salve d'applaudissements, premier signe d'impatience. Une poignée de minutes... et les présentateurs Brégard Anderson et Anne Daphney Lemoine mettent fin au suspens. Marodie Pierre, la boule à zéro, contrairement à l'annonce faite, interprète l'hymne national applaudi par l'assistance, mis en jambe avant que Zèkle n'interprète en levée de rideaux « Repon n mwen ». « Stop », « Se ou men m » s'en suivent. La sonorisation n'est pas fameuse. Elle est piètre. Kéké, Richard Barbot, guitare solo et basse, semblent avoir bouffé du lion et Joël, moins percutant, comme usé par la fatigue. Les yeux fermés, il arrive pourtant à transmettre de l'émotion avec le refrain de « Se ou men m », chanson d'un fils qui cherche désepérement l'amour de sa mère dans son épouse, sa compagne. « Ou te di m » est chanté en duo avec Ti Fan, l'interprète de « Se kòm si ». La mayonnaise ne prend pas. Avec « Si ou vle », le public participe, la tendance est inversée. Le remix rap de « Chante lanmou » de Steve Valcourt donne un frisson. Furtif. Trop furtif. Le rejeton de « Boulot » a de l'envie, mais, trop vite, il se case dans son rôle de choriste. Dommage. « Pito n pat zanmi » brise définitivement la glace. Des hommes lèvent les bras vers le ciel, comme si chacun d'eux, en secret, avaient vécu ou vivent le déchirement, l'interdit de tomber amoureux d'une amie malheureuse, mal-aimée par son compagnon. « Tambour battant », Zèklè étincelle. « Finalement », susurre un fan aux yeux illuminés par le feu d'artifice.La température monte encore, les maquillages sont défaits par la sueur. Le parc où la circulation était déjà difficile devient un calvaire. Ceux qui ont l'estomac dans les talons ou qui sont les dignes héritiers de Bacchus trouvent quand même le chemin menant à la cuisine et au bar. Le fumet de griot, d'«akra » de « kibi », de rhum fait saliver. « Pil ou fas » et « Adje ». Zèklè s'en va. Certains déplorent le mauvais agencement des chansons, la sono pitoyable, et se perdent dans des «auraient pu», des «auraient dû»...On évoque Tabou, Tropicana ou d'autres pointures de la musique haitienne capables de damer le pion à Kassav. la conquête Kassav
L'entracte est un peu long। « Dj Splash », « Yeye le blagueur » tuent le temps। Les présentateurs, sans complicité, sans pédagogie, ratant la dimension historique de cette prestation, vingt-quatre ans après le « Kassavmania », n'apprennent rien aux jeunes dont certains n'étaient même pas encore nés en 1986. 10 heures 27.Les musiciens de Kassav montent sur scène. Jacob Desvarieux, sans ses kilos de trop, a de l'allure. Jocelyne, Jean-Philippe... portent bien leurs rides. Dès l'entame, la différence est patente. Le son n'est pas le même, la présence sur scène aussi. 10 heures 42, coupure d'électricité, stupéfaction. «C'est de la réputation du pays dont il est question», tempête un homme dans la cinquantaine, tandis que retentissent des éclats de rires, le bruissement de conversation, le crépitement de flash de caméras numériques qui immortalisent l'instant. Quatre minutes après, la panne est levée. La sono flanche moins de dix minutes après. Quelques « théoriciens » « disjonctent ». Ils disent flairer un complot anti- Kassav. On leur rit au nez. Le son revient, les musiciens aussi. « Ou la ou le », Jacob électrise le public. « Sirop », ceux qui sont en couple s'enlacent sans nécessairement se rappeler que c'est l'histoire d'une femme en colère qui réclame des douceurs, des caresses, du « Sirop ». Pas évident, la compréhension des textes. On se contente des refrains. Tours de reins, pirouettes, voltiges au son du tambour, une des choristes fait son show. On dirait qu'elle n'a pas perdu la vivacité des années de sa folle jeunesse. Des danseuses en herbe des écoles de ballet folklorique dégustent. L'art du show, la coordination des mouvements, l'habitude, l'amitié, le plaisir des membres du groupe est évident. « Cela s'appelle du professionnalisme, monsieur », commente un journaliste senior, très peu surpris pour avoir déjà vu Kassav en concert à Montréal. En général, rien n'est laissé au hasard, ajoute-t-il au moment où le tempo, à dessein, est cassé. « Pa bezwen pale », « Avew doudou ». On danse. Vers 11 heures, la chaleur baisse. Le vent se remet à souffler. Les premiers signes d'épuisement également même si il y a cette envie de terrasser la fatigue pour vivre, jouir à fond de ces moments rares et exquis que l'on voudrait éternels. 11 heures 51. C'est le Jean-Philippe show. « Lanmou se pa jenjen », « Bel kreyati », « Ou za la ou te rete », des classiques de ce chanteur, qui, après le départ de Patrick St-Eloi, avait montré qu'il pouvait animer l'avant-scène lors des prestations de Kassav comme un grand. Communicatif, à l'instar d'un Shoubou, il fait bouger le public. « Ye kri ye kra, ye misti kri ye misti kra », Jocelyne, un peu à la Christine Taubira, affiche de la fierté en rappelant que tous les noirs de la Caraïbe viennent de l'alma mater, de l'Afrique. « Nous sommes cousins et frères. La grand-mère de ma grand-mère était la soeur de ta grand-mère. Nous avons nos traditions », enchaîne cette grande dame de la musique du continent en évoquant l'oralité de la transmission des savoirs et valeurs chez les peuples de la Caraïbe avant de chanter le fameux « Tim Tim bwa sèch », formule prononcer avant de conter une histoire. Fort. Enrichissant. Pédagogique.« Majana », « Mwe malade aw » et quelques autres hits du groupe pour un bouquet final sur fond de feu d'artifice sont « subliminaux ». Le public chantant en choeur « Zouk la se sèl medikaman nou ni » concède, accepte, ouvre son coeur. « C'est un hold-up en douceur de Kassav sur la terre du Compas », analyse un jeune homme l'air satisfait de la prestation du groupe un peu avant une heure du matin avant le salut des musiciens au public conquis. Quelques trente ans après, Kassav, qui a pris naissance en 1979 pour donner corps au rêve de Pierre-Édouard Décimus, complice du musicien Freddy Marshall, marche de conquête en conquête. ॥




Roberson AlphonseetPatrice Manuel Lerebours

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